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lundi 10 juin 2013

44 - Deux histoires d'onde

1 - L'APPARITION

Elle traînait le pas au bord de l'onde, parmi les herbes hautes. Sa robe d'un autre temps glissait le long de son corps, je détournais le regard avant de m'enfuir, l'âme en feu, le coeur à vif. Chaque jour je revenais, toujours je me sauvais. Jusqu'au jour où je trouvai le courage de rester. Je l'épiai alors qu'elle entrait dans les flots. La créature s'ébattait devant moi, j'en tremblais. C'était la première fois. Depuis ma cachette je voyais sa chevelure ondoyer, son flanc émerger, sa gorge jouer dans le courant.

Simple mortel, j'étais témoin de cette apparition qui devait me marquer pour la vie. Peu d'hommes croiraient à mon aventure. Mais elle était là, elle nageait, chantait, et moi, tétanisé, je l'observais. A moi le fils des hommes, à moi l'humble enfant de la Terre il était interdit de voir la baigneuse. Fasciné, tremblant, je bravais le tabou. Allais-je survivre à la profanation ? Je craignais de perdre la vue, la raison, la vie ou que sais-je ? Le péril était grand, mais n'en valait-il pas la peine ? Puis la crainte du courroux divin me gagna. J'en avais vu assez pour donner du prix à une existence entière, peupler toute une vie de songes radieux. Ou de cauchemars rédempteurs.

Je m'éclipsai. Courant comme un fou, haletant, les larmes aux yeux, la fièvre au corps, je me sentais des ailes. J'étais le plus chanceux des hommes. Le plus malheureux aussi. A quel prix le Ciel allait-il me faire payer le sacrilège ? Je courais sans oser me retourner, comme si tous les dieux de l'Olympe étaient à mes trousses.

J'avais vu.

Au bord de la rivière j'avais surpris par hasard celle qu'il m'était interdit de voir, et au lieu de fuir et oublier, j'avais voulu connaître certain secret. Les jours suivants j'étais revenu la guetter, dissimulé dans l'ombre. J'avais osé violer l'intimité de la légende, entrer dans l'onirique tabernacle, regarder en face le Mystère.

J'avais contemplé dans sa splendeur la fabuleuse, la mythique, l'hellénique Daphné.

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2 - L'HÔTE DU MARÉCAGE

L'automne était flamboyant.

La flore aux teintes chaudes dégageait des senteurs séminales. Partout l'or triomphait, ses reflets sauvages se mêlant avec éclat au terreau profond. Les artifices d'octobre embrasaient ciel et terre.

Aux abords d'un marais je m'égarai exquisément, humant l'humus fécond, l'âme bercée par ce paradis de feuilles mortes. La glorieuse agonie des éléments m'enchantait, je succombais à ses charmes. J'étais sur le point de tomber en pâmoison quand...

Quand les joncs remuèrent.

Une tête hideuse sortit des flots. L'épouvante me gagna. Avec sa face horrible, ses cheveux comme du foin, ses yeux pareils à des yeux de loup, son allure ogresque, ses poils de garou et ses halètement d'ours, l'être lentement s'approcha, ruisselant de vase.

Pétrifié d'horreur et tout à la fois incrédule devant ce géant issu de l'onde fangeuse, le doute traversa mon esprit. Je ne rêvais point pourtant. Ce génie velu était bien sorti de l'étang. La créature toutefois se révéla bien inoffensive. Craintive, voûtée, comme écrasée par sa propre déchéance, la bête semblait suppliante. Chose étonnante, devant son attitude misérable mon effroi peu à peu s'évanouit. J'eus bientôt pitié de ce titan au poil trempé de boue qui me tendait la main. Je sortis de ma besace quelque quignon de pain. Il le prit avec un air de profonde reconnaissance avant de disparaître aussi vite dans les eaux troubles.

C'était il y a vingt ans. Depuis je n'ai plus jamais revu le monstre solitaire. Mais à chaque automne je relève de mystérieuses traces de pas aux alentours du marécage. Aujourd'hui encore j'ignore qui était cet énigmatique habitant du marais, je sais cependant qu'il est toujours là, qu'il hante les lieux à chaque saison, errant entre les joncs tel un intemporel pénitent en quête de je ne sais quel salut.

VOIR LA VIDEO :

http://www.dailymotion.com/video/xy33ym_deux-histoires-d-onde-raphael-zacharie-de-izarra_news#.UTw_qhzYDck

http://izarralune.blogspot.fr/2007/05/563-lhte-du-marcage.html

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