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vendredi 14 juin 2013

253 - Un mathématicien sur la neige




Un cosaque cosmique

Imaginons cette scène onirique, hautement poétique : je suis un cosaque et vous êtes ma compagne d’armes. Enfants du froid, fils et fille des terres slaves, nés et élevés dans les immenses prairies gelées que l’on appelle la toundra.

Nous nous préparons pour une course folle à travers la steppe enneigée. C’est un jeu de guerriers. Viril, didactique, rude et barbare.

Nous sommes en selle, vêtus de bottes et de fourrures. Du haut de ma monture mon regard se dirige vers l’horizon que recouvre la froide écume. Loup affamé, aigle assoiffé d’azur, je suis un souffle féroce. Ce pays est de glace, mon âme est de feu. Vous me frôlez, assise sur votre cheval avec mâle assurance, témérité, arrogance, l’oeil farouche, le poing agrippé aux rênes, quelques mèches de cheveux flottant dans le vent...

Une odeur musquée se dégage de nos vêtements. Les chevaux pleins de fièvre et de sang sont deux flèches vivantes sur le point de se détendre. Fatal, le coup d’éperon les jettera bientôt dans le blanc infini.

Je caresse l’échine de mon cheval. Il se cabre. Ses muscles tressaillent, mon sang fait battre mes tempes. La tension est au paroxysme, animaux et humains sont fébriles.

Face à nous, la plaine. Glacée, vaste, ensoleillée, flamboyante. Le vent de la steppe caresse âprement nos visages. Il joue avec vos mèches, et quand se resserrent vos lèvres sous la morsure du gel un air sauvage fait briller vos prunelles. Bêtes et hommes sont prêts pour la course.

Votre regard hautain croise une dernière fois mon visage martial. Et dans un ultime défi, le toise avec dureté.

Mon talon frappe les côtes de la bête, vous m'imitez et nous dévalons la plaine dans une clameur de rires rauques !

Les chevaux s’emballent, le bruit étouffé de leurs sabots dans la neige se mêle avec harmonie à leur souffle bref et sonore. La cadence de ce mutuel galop s’accorde parfaitement au rythme de nos coeurs. Nous ne faisons plus qu’un avec les chevaux, enchaînés à leur pas de course.

Nous filons côte à côte dans la neige à une allure magistrale, emportés par nos coursiers qui fendent l’air avec fureur. Indociles, excités, admirables. Le vent bourdonne à mes oreilles et à travers la poussière de givre tourbillonnant autour de nous je distingue les traits de votre visage, tendus sous l’euphorie.

Votre air intrépide, vos cheveux fous, votre main agrippée à la crinière onduleuse du cheval, les rênes trop longues qui tournoient dans l’air et viennent s’enrouler autour de l’autre main comme des bracelets de cuir éphémères, l’écume de l’animal qui s’abat en pluie contre votre face et fait plisser vos yeux, les cristaux de neige qui blanchissent vos cils, le tout baigné dans le bruit sourd de la cavalcade, tout cela donne à ce tableau fugace et fulgurant une grâce suprême, une expression de noblesse profonde, un sentiment de grandeur ineffable. 

Vertigineux.

Dans l’ivresse de l'élan, dans cette étourdissante chevauchée, tout devient féerique : l’instant se fige, se transformant en une sorte de songe.

Et nous chevauchons dans un espace d’éternité, dans un paysage onirique aux dimensions cosmiques.

Radieux, votre visage se tourne vers moi, transfiguré. Votre cheval devient Pégase, je sens ses ailes blanches qui frôlent ma main... Mon cheval a des ailes également. Je ne sens plus le sol poudreux sous ses sabots. Je lève les yeux vers le ciel et vois les myriades de cristaux de neige qui forment à présent la Voie Lactée : nous sommes en route pour l’infini.


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