Il se lève avant ses voisins, le quincaillier. Prêt à défier chaque nouvelle journée avec une égale ardeur, il porte cravate et blouse blanche. On le respecte, on le consulte, on l'écoute. Trente-cinq ans d'immersion totale en pensées pratiques dans les rayons de son magasin où cent fois par jour il vient trôner à la caisse comme un chef qu'il est, entre rangée d'arrosoirs et piles de désherbants, ont fait de sa vie une légende. Le roi du robinet, c'est lui.
Jamais à cours de stocks, le quincaillier est prévoyant, polyvalent, et même prévenant : il ouvre la porte à ses clients, qu'ils entrent ou qu'ils sortent.
Un jour j'ai posé la question suivante au quincaillier :
- Craignez-vous la mort ?
Plein de bon sens, des diamants dans les prunelles, le quincaillier m'a répondu :
- Aucune crainte de la mort : je suis chez Assuror. J'y ai souscrit une assurance-vie en béton.
Désarmante innocence ! A moins qu'il ne se soit lui-même parfaitement conditionné, ramolli jusqu'à la moelle, voire pétrifié par sa fonction qu'il semble prendre tellement à coeur... Depuis j'ai compris la gloire du quincaillier. Une telle solennité dans la petitesse, une pareille grandeur dans l'insignifiance, une foi aussi inébranlable dans ses seaux de zinc et tuyaux de poêle confine à l'héroïsme matérialiste poussé à l'extrême. Une forme de sainteté "quincaillière". Je vois désormais sa vie comme une oeuvre d'art dédiée à la cause ménagère. En a-t-il au moins conscience ? Peu importe. Cet homme est un phénomène, une chance pour l'humanité non-pensante. Un alchimiste d'un genre nouveau. Son exploit : changer le plomb usuel étalé dans ses rayons en or destiné à son banquier.
Cet homme convaincu que la vérité est dans la clé de douze, cet être vêtu de blanc et de certitudes de ferblanterie, ce lève-tôt brillant comme le cuivre astiqué de ses casseroles savamment alignées ne craint pas la mort.
La gloire du quincaillier vous dis-je...
samedi 19 mai 2007
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