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samedi 19 mai 2007

574 - Le berger

Berger, va faire paître loin de mon éden policé tes moutons sales. Je déteste tes mains calleuses, je fuis ton odeur douteuse, me méfie de tes airs de bohémien.

Ta barbe longue m'inspire dégoût. Quelle femme honnête chercherait l'ivresse dans tes baisers ? Ta face hirsute effraie les enfants, fait rire les belles gens de la ville. Tu es un sauvage berger. Un coureur de pâturages, un vieux cerf puant, un fumeur de tabac bon marché. Tu n'es qu'un va-nu-pieds, tandis que ma semelle à moi est hautaine, claquante, luxueuse. Les gens de ton espèce dorment sous l'étoile, étendus dans leur peau de bête. Pire qu'à la cloche. Et tu te crois libre parce que ton matelas est fait d'herbes sèches, toi le vagabond ? Pâtre, tu es un sot, un ignare, un benêt et un pouilleux. La laine crottée de ton troupeau est une offense à la civilisation, à la Beauté, et même aux bonnes moeurs.

Tu avances dans ta montagne mais tu régresses dans ta tête, pauvre pasteur ! Sais-tu lire au moins ? Tu ne connais que des boniments, vieux cancre ! Au lieu de rêvasser sous les étoiles, tu ferais mieux d'ouvrir un livre. Ou de retourner à l'école apprendre l'alphabet. L'Arcadie est un mythe berger. Tu n'as rien d'un héros antique. Tu n'as ni allure ni profondeur, et aucune sentence immortelle ne sort de ta bouche muette. Incorrigible solitaire, tu es pitoyable sous la pluie comme au soleil. En réalité tu n'es qu'un misérable et nul artiste n'aurait l'idée ni le coeur de peindre tes haillons.

Je n'ai pas besoin de tes services, berger. Je me vêts de dentelles et mange les fruits de mon potager. Mon jardin est droit, carré, propre. L'ivraie n'y a pas droit de cité, le loup n'y rôde pas, et la rose l'embaume.

Éloigne tes bêtes stupides de mes sillons. Je ne veux pas entendre les sots braiments des hôtes de ta drôle d'étable. Le chant de la laine est épais comme l'enclume. Va t'en berger ! Que les bêlements de tes quadrupèdes ne viennent jamais troubler la beauté furtive de l'aube...

Et que demeure intacte autour de mon verger la rosée du matin où viennent s'abreuver muses et poètes.

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